Cette semaine, ISFQ vous partage un article de Maxime Ladouceur, Ingénieur en mécanique qui travaille au sein de la Société Makivik en tant que chargé de projets.
Ingénieurs Sans Frontières Québec a pour mission d’améliorer les conditions de vie des communautés en développement grâce à l’ingénierie durable et répond ainsi à des demandes exprimées par des communautés d’Afrique francophone. ISFQ développe, grâce à ses coopérants, des projets d’ingénierie durable et forme les populations locales à leurs usages. Mais, un autre volet important de la mission d’ISFQ est de promouvoir le génie durable à travers le Québec et d’accroître la sensibilisation sur les communautés qui font face à des enjeux de développement au sein du Québec. Dans le cadre de notre mission, Maxime Ladouceur, Ingénieur en mécanique qui travaille au sein de la Société Makivik en tant que chargé de projets, aborde cette semaine les contraintes du développement de projets en milieu Nordique. La Société Makivik est une OSBL Inuit qui œuvre sur le territoire du Nunavik au Nord de la Province du Québec. À l’instar des communautés où ISFQ intervient, le Nord du Québec fait face à des enjeux similaires tant par sa situation d’isolement que ses défis liés à l’éducation des jeunes ou encore à son exposition au réchauffement climatique. Ainsi, comme ISFQ, le rôle de la Société Makivik consiste à mettre en place divers projets et initiatives de développement à caractère sociaux et communautaires en vue d’améliorer la qualité de vie des populations Inuites de la région. Constitué de 14 communautés isolées et accessibles uniquement par avion, ce territoire peu connu est particulièrement fascinant et mériterait d’être davantage connu.
Le Nunavik
J’ai entendu ce mot pour la première fois il y a près de dix ans. Assis dans une petite salle d’entrevue d’un immeuble vitré de Ville St-Laurent, j’apprenais à mon grand étonnement que quatorze communautés isolées Inuites étaient réparties le long des côtes à l’Extrême-Nord de la Province. Je ne savais rien de cette région. Connaissant de réputation météorologique Kuujjuaq, le village le plus important de ce territoire, je me doutais qu’il devait y faire froid, mais la limite de mes connaissances s’arrêtait là. J’ai eu la chance depuis de découvrir cette région fascinante en pilotant plusieurs projets de construction d’infrastructures, de formation à échelle locale et de valorisation des communautés. Résumé des principaux casse-têtes.
Le territoire
Le Nunavik, l’endroit où l’on s’installe en Inuktitut, la langue Inuite, à ne pas confondre avec le Nunavut situé un peu plus au Nord hors de la Province. Un tiers de la superficie du Québec pour une population d’un peu moins de 12,000 personnes réparties dans quatorze villages, 90% des habitants étant Inuits. C’est l’équivalent de répartir la population de l’ile d’Orléans sur une superficie semblable à la France. C’est vaste comme territoire. Plus de douze heures de vol de Montréal pour atteindre Salluit, le village le plus éloigné. Chaque jour, les avions Dash-8 et petits bimoteurs à hélices TwinOtter de la compagnie aérienne Air Inuit, sillonnent la région pour assurer les déplacements, lorsque la météo le permet bien sûr. Étant donné qu’aucune route ne relie les villages, l’avion est l’unique porte d’entrée ou de sortie. J’ai en tête plusieurs périodes de blizzards où certains villages demeuraient inaccessibles durant plus d’une semaine. C’est une réalité qu’on apprend à accepter rapidement lors de nos premières visites. On sait quand on part, mais pas nécessairement quand on revient. Trop de vent, trop de neige, trop de brouillard, la météo a plus d’un tour dans son sac pour nous rendre la vie disons plus divertissante. Dans le cadre de nos projets, la logistique mise en branle pour organiser des rencontres tel que des consultations régionales entre membres de différentes communautés est impressionnante. Réunir tout le monde en même temps à la même place à la bonne heure relève d’une bonne organisation, mais aussi d’un sacré coup de chance.
L’isolement
Travailler dans le contexte du Grand Nord et y mettre en place des projets est particulier. Les défis sont nombreux et les erreurs coûteuses. Il est ardu d’y voyager, mais le même enjeu se pose pour le matériel ou les équipements. La desserte maritime, composée de gros navires de marchandises, ne visite les villages que deux fois l’an, en juillet et en octobre, pour y amener tout ce que les communautés ont besoin. Fait inévitable, compte tenu du contexte isolé de la région. Nourriture, véhicules, équipements lourds, motoneiges, matériaux de construction, mobiliers, réservoirs pétroliers, essence, pièces d’entretien, électroménagers et j’en passe, tout arrive par bateau et seulement deux fois par année. Défis majeurs entre autres pour la gestion de projets de construction qui nécessite la commande et l’envoi de matériaux au Port de Valleyfield plusieurs mois à l’avance. Rien ne doit être oublié au risque de décaler les projets de plusieurs mois voire d’une année complète. Difficile, en effet, d’envoyer la pelle mécanique dont vous aurez besoin pour excaver vos fondations par avion.
La culture
La culture Inuite est encore bien présente au sein de la région. Le Nunavik est l’une des quatre régions Inuites du Canada* où l’inuktitut est encore très utilisé et parlé couramment. L’écriture syllabique, un système d’écriture instauré par les missionnaires moraves vers la fin des années 1800, est d’ailleurs toujours enseignée aux Inuits dans les premières années du primaire. D’ailleurs, plusieurs initiatives ont été mises en place par les communautés pour promouvoir et encourager le maintien de cette langue si complexe et particulière. Malgré le fait que la majorité des Inuits comprennent et parlent l’anglais (l’anglais est beaucoup plus présent que le français), il est primordial de s’assurer de faire traduire nos documents dans la langue locale et de tenir la plupart de nos réunions avec l’aide de traducteurs. Ce point est particulièrement crucial lorsque des volets de formation ou de transfert de connaissances sont inclus dans les projets.
Le Grand Nord offre une source de défis quasi inépuisable pour celui qui s’y aventure. Que ce soit le climat polaire, la toundra, la faune arctique ou encore le fonctionnement politique et organisationnel particulier de la région, ceux-ci nous obligent régulièrement à innover et user d’imagination pour arriver à nos fins. L’imagination, c’est d’ailleurs une des qualités importantes selon moi pour travailler dans ce milieu, l’imagination ainsi que l’ouverture d’esprit. Les médias véhiculent régulièrement, pour ne pas dire constamment, des images négatives de ces régions trop souvent oubliées et incomprises. Il y a effectivement beaucoup d’amélioration à mettre en œuvre, notamment en matière de logements et d’éducation. La situation n’est pas idéale, mais après plusieurs années passées avec les Inuits, on apprend à relativiser les choses et surtout à les contextualiser. On peut alors mettre nos énergies sur les projets et initiatives qui ont de vraies retombées positives sur les communautés et leurs habitants. Atsunai!
*Nunavut, l’Inuvialuit (Yukon, Territoire du Nord-Ouest), Nunavik (Québec), Nunatsiavut (Labrador)
Maxime Ladouceur, ing.
BIOGRAPHIE
Diplômé de l’École Polytechnique en génie mécanique en 2006, M. Maxime Ladouceur a débuté sa carrière en conception pour le milieu cinématographique. Suite à plusieurs séjours en Afrique, Asie et Amérique du Sud, il développe un intérêt particulier pour les projets de développement international. Cette nouvelle passion l’amène à découvrir les communautés Inuites du Québec et du Canada. Depuis 2008, il dirige des projets d’infrastructures au sein de la Société Makivik, un OSBL Inuit qui œuvre sur le territoire du Nunavik au Nord de la Province du Québec. Ses champs d’expertise touchent différents domaines dont les infrastructures maritimes en milieu arctique, la construction sur pergélisol ainsi que la gestion d’études d’impacts environnementales et sociales. M. Ladouceur est également membre de plusieurs comités de liaison régionaux et participe activement à la négociation d’ententes entre les populations Inuites du Nunavik et plusieurs Ministères provinciaux et fédéraux.