Cette semaine, l’équipe ISFQ est heureuse de vous partager un second article de Maxime Ladouceur, Ingénieur en mécanique qui travaille au sein de la Société Makivik en tant que chargé de projets. La Société Makivik est une OSBL Inuit qui œuvre au développement du territoire du Nunavik au Nord de la Province du Québec. Maxime a été récemment élu à titre d’administrateur sur le conseil d’administrateur d’ISFQ, nous lui souhaitons un bon mandat et la bienvenue dans la famille ISFQ.
Cette chronique fait suite à un premier article « Le Nunavik : Quand projet rime avec aventure ! » publié le 27 mars dernier dans lequel Maxime Ladouceur abordait les contraintes du développement de projets en milieu Nordique. Ce second article met en avant la complexité des communautés en développement qui sont à la fois isolées mais aussi « hyper-connectées ». En effet, tout comme Ingénieurs Sans Frontières Québec, il souligne l’importance d’être à l’écoute des communautés pour répondre réellement à leurs besoins tout en respectant leurs traditions mais aussi en accompagnant leur développement. Pour cela, ISFQ répond à des demandes de projets directement exprimées par des communautés d’Afrique francophone sub-saharienne et travaille en collaboration avec les populations locales et des partenaires locaux.
DE L’IGLOO À EMINEM
Lors d’un de mes premiers séjours au Nunavik, je discutais à table avec un couple de personnes âgés, des elders comme on les appelle dans la région. Le sujet de notre discussion tournait autour des changements climatiques et de l’impact de ceux-ci sur les habitudes de chasse et de pêche des membres de la communauté. Ce couple, dans la soixante-dizaine avancée, était né et avait vécu leur enfance dans les igloos qui parsemaient autrefois les abords de la Pointe du Labrador où nous nous trouvions. Ils me décrivaient avec émotion l’épaisseur de la banquise qui diminuait d’année en année et par le fait même modifiait les habitudes des phoques annelés et des bélugas. Au travers de la discussion, leur petite-fille d’environ 12 ans est entrée dans la maison. Elle a rapidement traversé la pièce pour rejoindre un ordinateur portable dans le coin du salon. Quelques clics plus tard, la chanson My name is du rappeur Eminem s’est mise à résonner dans toute la pièce. Sans sourciller, les elders poursuivirent la discussion. De mon côté, l’image bucolique que j’avais en tête venait d’en prendre un coup. Je passais de l’Inuit chasseur de phoque téméraire et aguerri au jeune pré-ado à casquette à palette. Sans le savoir à ce moment, j’avais devant moi une situation qui représente un des défis les plus importants des dernières années au Nunavik: le choc intergénérationnel.
Cette anecdote m’est longtemps restée en tête et a ébranlée l’image que je m’étais fait du peuple inuit. Des changements radicaux, mais surtout rapides, ont frappé les communautés au cours des 50 dernières années modifiant leurs façons de vivre et leurs habitudes. La nouvelle génération, fouettée par les influences du Sud, cherche sa place, le unaaq* d’une main et le ipod de l’autre. Ce bouleversement rend plus ardu le travail de développement de projets. Qu’est-ce que ces communautés veulent vraiment? Comment mettre des infrastructures et des systèmes en place qui répondront à des besoins et des aspirations si variés et complexes? Doit-on favoriser le mode de vie traditionnel et si oui jusqu’à quel point? J’ai participé à plusieurs ateliers de conception d’habitations adaptées pour les populations de l’Arctique. Très souvent, les étudiants vont élaborer des concepts audacieux reproduisant la forme d’igloos à aire ouverte où les habitants dorment et cohabitent ensemble. Plusieurs assument que les Inuits préfèrent vivre en groupe puisque ce fut leur mode de vie traditionnel. Mais est-ce vraiment le cas? Le faisait-il par choix ou plutôt par nécessité? Pourtant les communautés favorisent encore beaucoup l’aspect communautaire. Les multiples fêtes où tous se regroupent au gymnase du village sont fréquentes et très populaires spécialement dans le temps de Noël. Je me souviens d’un séjour à Ivujivik où des chasseurs étaient revenus au village en remorquant 3 bélugas attachés à leur canot. Presque tout le village de 370 habitants était accouru pour hisser les mammifères marins hors de l’eau et se séparer équitablement la viande. Une belle leçon de partage! Doit-on alors appliquer la même logique lorsqu’on parle de logements et d’habitations? Seul une bonne recherche et l’implication des communautés dans le projet pourra nous apporter une certaine réponse.
J’ai participé au développement d’un Prototype d’habitation Nordique qui fut construit en 2015 dans le village de 400 habitants de Quaqtaq. Une consultation de design de 3 jours fut organisé à Kuujjuaq avec des représentants de plusieurs communautés du Nunavik de tout genre et tout âge confondu. L’objectif était de cerner de manière la plus fidèle possible les besoins de la région en termes d’amélioration au niveau du logement. Il faut comprendre qu’au Nunavik, la très grande majorité de la population demeure dans des logements sociaux, le marché privé d’habitation étant négligeable. De plus, une grande proportion de ces habitations sont surpeuplées. La question du logement public est donc un des enjeux les plus importants de la région. Les discussions qui ont eu cours lors de la consultation ont été fructueuses. Certaines propositions ont été soulevées en lien avec le côté traditionnel de la culture inuite tel que l’intérêt d’avoir un grand portique d’entrée non-chauffé pour y disposer les peaux des animaux dépecés; espace cuisine/salle à manger vaste pour permettre de s’installer au sol pour manger la nourriture traditionnelle (caribou, phoque, béluga, omble de l’arctique, ptarmigan) comme la plupart des familles inuites le font encore; orientation des bâtiments vers les Baies qui bordent les communautés pour favoriser le lien avec la nature. D’un autre côté, de nombreuses préoccupations plus contemporaines ont également été mise de l’avant: Chambres individuelles plus grandes, confort amélioré au niveau des systèmes de chauffage et de l’insonorisation entre les logements et davantage d’espaces de rangements. Les participants ont également été invités à faire des croquis et des schémas de leur logement idéal et à analyser pièce par pièce leur habitation existante. Toutes les informations recueillies lors de ces rencontres ont ensuite été colligées et analysées par les architectes et les ingénieurs en charge du projet. L’aspect financier étant un enjeu majeur, le défi principal fut de jongler avec les résultats obtenus pour prioriser les interventions qui généreraient un maximum d’impacts. L’exercice au final a permis de construire un prototype mieux adapté aux réalités actuelles des communautés et du peuple Inuit.
Chaque culture possède ses propres façons de faire, ses traditions et ses habitudes. Le défi des intervenants qui participent au développement de ces groupes est de s’assurer de concentrer leurs énergies sur le contexte actuel dans lequel ces peuples évoluent et de mesurer adéquatement les besoins de tous et chacun. Depuis 2011, l’Office Municipal d’Habitation Kativik, l’organisme qui gère le parc de logement social au Nunavik, a créé l’initiative Pivallianiq (Un changement pour le mieux en inuktitut). L’objectif de ce mouvement est de sensibiliser les communautés au bon entretien et à la mise en valeur des logements sociaux de la région. Un des volets inclus l’embauche de travailleurs de rues qui mettent en place des ateliers sportifs et artistiques avec les jeunes des communautés dans lesquels le respect des logements et des infrastructures publiques est mis de l’avant. Certains ateliers de Hip Hop ont même été développés et quelques spectacles ont eu lieu dans certains villages. Plusieurs elders en ont profité pour venir assister aux spectacles et encourager leurs petits-enfants lors de ces prestations rythmées. Une belle preuve qu’il est bel et bien possible de réunir modernité et tradition sous le même toit.
*Unaaq : Harpon
Maxime Ladouceur, ing.
BIOGRAPHIE
Diplômé de l’École Polytechnique en génie mécanique en 2006, Maxime Ladouceur dirige depuis 2008 des projets d’infrastructures au sein de la Société Makivik, une OSBL Inuit qui œuvre sur le territoire du Nunavik au Nord de la Province du Québec. Ses champs d’expertise touchent différents domaines dont les infrastructures maritimes en milieu arctique, la construction sur pergélisol ainsi que la gestion d’études d’impacts environnementales et sociales. Maxime Ladouceur est également membre de plusieurs comités de liaison régionaux, participe activement à la négociation d’ententes entre les populations Inuites du Nunavik et plusieurs Ministères provinciaux et fédéraux et a rejoint le Conseil d’Admnistration d’ISFQ lors des dernières élections.